Réflexion sur les devises de la République Française et de la Monarchie Marocaine (2/5)
POLITIQUE
11/25/20245 min read


Une devise nationale a pour but de concentrer et consacrer en quelques mots des principes estimés consubstantiels au régime politique en question, là où une constitution les énuméreraient avec une meilleure exhaustivité. Ainsi la République Française choisit-elle, dans le sillage des révolutions de 1789 et 1848 la triade “Liberté, Egalité, Fraternité” en adéquation avec l’humanisme dévot qui fourmillait alors dans les esprits. Ces trois mots, à partir de la IIIe République et jusqu’aujourd’hui (à l’exclusion du régime de Vichy) ont réglé la marche de la France sur et dans le monde, au point que demander au citoyen quelconque de qualifier son pays sans user des trois termes sus-mentionnés reviendrait à jouer à une version remaniée de “ni oui ni non”. De fait, cette devise est désormais aux mœurs et esprits des français ce que la Tour Eiffel est au Champ de Mars : parfaitement ancrée , indéboulonnable et… menacée par la rouille (1) . Ainsi, un français sur deux considère-t-il la liberté comme pratiquement absente de sa société, et deux sur trois perçoivent de même au regard de l’égalité et de la fraternité (2). Et c’est là tout le désagrément que de consacrer des principes inextricables à l’air du temps : l’air entraîne la corrosion et le temps suscite l’altération. Alors qu’Ernest Renan écrit qu’ “une nation est une âme, un principe spirituel, un plébiscite de tous les jours” (3), la marche du monde - et le libéralisme coûte que coûte aidant-, ont transmué peu à peu la liberté en désir, l’égalité en frustration (chose déjà anticipée par Tocqueville) et la fraternité en adversité. Du principe spirituel, il ne reste alors plus rien, et les français se retrouvent enfermés, au fil du temps, entre pulsions (4), ressentiments (5) et appréhensions (6), tandis que l’Etat voit son action se réduire à celui d’un arbitrage permanent, un pis-aller perpétuel face à l’équilibre instable que menacent des crises sempiternelles et structurelles.
Et pour cause, il est à noter que la devise nationale française, toujours en parfaite conformité avec l’air du temps, est tournée vers l’individu. Celui-ci est au centre, il est le référentiel, et l’Etat est alors au service de ce “moi” et de ses droits inaliénables. L’individu est alors parfaitement émancipé, et dans la perspective républicaine l’Histoire est terminée : l’Homme est désormais sacré et consacré. Ni Dieu, ni Roi, ni maître, et c’est désormais la raison qui règne jusqu’à la fin des temps. C’est alors “jouir sans entrave” que réclament les enfants de la Liberté, ceux qui se sont insurgés avec la plus admirable des déterminations sous les soleils de mai 1968. Hegel, s’il reconnaît dès le premier tiers du 19e siècle que l’essence de l’Etat moderne qu’a inspiré la République Française est “ l’union de l’universel avec la pleine liberté du particulier et avec le bien-être des individus” , ajoute par la suite qu’il est “plutôt vrai que le peuple ne sait pas ce qu’il veut” (7). Aussi, Napoléon Bonaparte a-t-il prononcé quelques années auparavant qu’il fallait “sauver les peuples malgré eux”. (8) Dans la configuration que permet l’héritage républicain, il ne sied toutefois pas à l'Etat de sauver son peuple malgré lui, puisqu’il est lui-même ce peuple. L’Etat ne saurait être conçu que comme une agrégation d’individus tout-puissants, “souverains”, dont la volonté est inévitablement tiraillée entre pragmatisme et sentimentalisme. Bien que cette agrégation d’individus trouve sa raison d’être dans la troisième partie du triptyque républicain : la fraternité, celle-ci peut cependant être considérée comme péniblement conciliable avec une liberté désinhibée et un égalitarisme trop souvent forcé. La devise nationale française, qui condense la constitution régissant les institutions, serait-elle une aporie ? Et dans ce cas, quel rôle joue-t-elle vraiment dans l’incertitude croissante dont fait l’objet la France contemporaine ? (9)
Le Maroc, a consacré en 1956 le triptyque “Dieu, la Patrie, le Roi” comme devise nationale. Il convient de constater une distanciation de la maïeutique révolutionnaire par l’affirmation des principes les plus stables à avoir traversés les millénaires , ceux qui sont ancrés dans les inconscients de toutes les générations par les récits bibliques et coraniques de Saül, David ou Salomon : un Dieu immuable et atemporel, une Patrie terrestre qui s’organise autour de Lui, et sur laquelle règne et veille un Roi héritier de ses pères et précepteur de ses fils. Il est à considérer que cette devise rompt radicalement avec les principes républicains tout en scellant une continuité avec l’Histoire originelle et universelle : elle est le reflet d’un paradigme où les révolutions européennes n’ont jamais eu lieue. Ainsi la devise marocaine est-elle une négation du sécularisme qui a été le moteur des mutations sociétales dans le monde occidental, tandis que le Roi du Maroc se voit conférer le titre de “Commandeur des Croyants”. Autant que Napoléon -encore lui-, déclarait qu’ “une société sans religion est comme un vaisseau sans boussole” (10), nous pouvons considérer le Roi du Maroc comme le capitaine à bord, chargé de donner le cap du haut d’une hune qui côtoie le firmament.
En comparaison avec la devise républicaine, la devise marocaine est tournée vers la transcendance, l’individu est au service de principes supérieurs placés au-dessus de lui-même. Il subsiste alors un appel que le temps n’estompe pas : celui de s’élever et se hisser jusqu’à ces derniers. La condition humaine, de cette façon, serait plus prompte à se libérer des écueils qu’elle rencontre inexorablement lorsque confrontée au désœuvrement de l'hubris et de la toute-puissance. Pour sa prospérité et pour son salut, il convient de diriger ses aspirations et ses efforts au service de Dieu, de la Patrie et du Roi, conditions nécessaires et suffisantes, dans ce référentiel, à l'accomplissement de soi. Ce triptyque a un avantage qui manque certainement au premier : celui de la stabilité, celui de l’immuabilité, à cause de l’indépendance dont il jouit vis à vis de la volatilité inhérente à la psychologie sociale et humaine. Ainsi est-il possible de poursuivre un objectif des plus objectifs, amorcé par le père et achevé par le fils sans discontinuité aucune.
Les paradigmes qui fondent ces deux nations souveraines sont diamétralement opposés, et pourtant elles existent et évoluent dans la même temporalité. Abordons désormais les notions d’identité et de cohésion nationales qui résultent des régimes politiques marocains et français.
(1) Forbes France. (2024, 23 février). La Tour Eiffel menacée d’effondrement à cause de la rouille. Forbes France. https://www.forbes.fr/business/la-tour-eiffel-menacee-deffondrement-a-cause-de-la-rouille/
(2) Harris Interactive. (2023, 31 août). Les paradoxes français : quel rapport des Français aux valeurs républicaines et à leur application ? Harris Interactive. https://harris-interactive.fr/opinion_polls/les-paradoxes-francais/
(3)Le Figaro. 2020, 24 juillet). Gérald Darmanin : « Il faut stopperlensauvagement dune partie de la société ». Le Figaro. https://www.lefigaro.fr/politique/gerald-darmanin-il-faut-stopper-lensauvagement-d-une-partie-de-la-societe-20200724
(4) Le Point. (2024, 14 février). Sentiment de déclassement et d’abandon : la défiance des Français envers les politiques est au plus haut. Le Point. https://www.lepoint.fr/politique/sentiment-de-declassement-et-d-abandon-la-defiance-des-francais-envers-les-politiques-est-au-plus-haut-14-02-2024-2552454_20.php
(5) Ipsos. (2023, 26 octobre). 70% des Français se déclarent pessimistes quant à l’avenir de la France. Ipsos. https://www.ipsos.com/fr-fr/70-des-francais-se-declarent-pessimistes-quant-lavenir-de-la-france
(6) Renan. (1882). Qu'est-ce qu'une nation ?
(7) Hegel. (1820). Principes de la philosophie du droit
(8) Bonaparte. (1808). Correspondance avec Jérôme Bonaparte
(9) Le Monde. (2024, 26 septembre). Dette : regain de tension sur les taux d’intérêt français. Le Monde. https://www.lemonde.fr/economie/article/2024/09/26/dette-regain-de-tension-sur-les-taux-d-interet-francais_6335180_3234.html
(10) Bonaparte. (1800). Allocution aux curés de Milan
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