Pour un contrat intergénérationnel : la solidarité inachevée (2/2)
ECONOMIE
10/11/20246 min read
Suite du papier sur le déséquilibre intergénérationnel
Il serait, pour la suite du raisonnement, acceptable d'écrire les choses sans ambages : par les confinements, couvres-feux et diverses coercitions imposés suite à la circulation du Coronavirus, le boomer, roi de l’époque, a achevé d'immoler les générations futures sur l’autel de ses instincts élémentaires. De fait, le temps des revendications pour une liberté sans restriction, le temps où les soixante-huitards répétaient en boucle comme des mantras qu’il est « interdit d’interdire » ou encore qu’il faut « jouir sans entrave » est loin, très loin.
Non, le Coronavirus a manifestement choisi sa cible ( en France, 90% des décédés du Covid-19 ont plus de 60 ans, , 83% ont plus de 70 ans, et 1% a moins de 49 ans) (1) , alors gare à celui qui foulerait l’espace public sans son attestation dérogatoire dûment datée et signée. Mais il a été passé outre cette fascinante incohérence temporelle, il a été consenti à la confiscation la plus drastique des libertés fondamentales et à la destruction programmée de l’Economie nationale (2) (3).
Alors qu’un confinement discriminatoire selon l’âge et l’état de santé général aurait suffi à apaiser les tensions en salles de réanimation (12.6% des admis en réanimation pour cause de Coronavirus ont moins de 50 ans alors qu’ils représentent 60% de la population générale) (4), l’obsession pour l'égalitarisme -mère du nivellement par le bas-, s’est à nouveau posée comme référentiel indépassable en termes de décisions politiques. Et ce, en formidable rupture avec ce que ces jeunes de l’époque ont eux-mêmes connu lors de la grippe de Hongkong entre 1968 et 1970 (5), tout aussi gérontocide.
Nous soulignons par ailleurs que les confinements successifs n’ont pour justification officielle que la saturation des salles de réanimation et le manque de matériel de lutte contre l’épidémie (masques et tests) (6), soit une conséquence de la rupture idéologique dans la gestion du bien public initiée et cultivée par ces mêmes révolutionnaires de mai 68. (7) Dieu ne se rit-il pas de ceux qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes ? Quoi qu’il en soit, les faits sont là. Le boomer a livré son baroud d’honneur, ici comme ailleurs (8) ,et nous lègue pour héritage, comme une consécration de son œuvre, une récession historique de 7.9 points du PIB en 2020, un déficit public inédit et une dette nationale et européenne qui suffira à sonner le glas des avancées sociales.
C’est là une démonstration éloquente de la façon dont on peut aujourd’hui porter toute une jeunesse à la crucifixion. Ainsi ceux censés constituer l’avenir de la nation se retrouvent-t-ils frappés et tourmentés par les détresses psycho-sociales les plus abrasives (9), avec notamment une augmentation des consultations chez le psychiatre de 50% pour les 18-24 ans (10), trainant jusqu’aujourd’hui des séquelles psychologiques aussi redoutables que durables (11).
Il serait raisonnable de penser qu'un temps nouveau doit advenir : celui où le roi de l’époque finit par payer ses dettes. Cette crise doit voir émerger la possibilité d'une réconciliation entre les générations, un retour de solidarité qui ruissèlerait sur la pyramide des âges. Il n'est ici en rien question d'une faveur, mais ni plus ni moins d'un renvoi d’ascenseur. Aussi ce rétablissement des équilibres doit-il passer par sa contractualisation, et seul l’Etat, arbitre intergénérationnel naturel, peut initier et garantir une telle chose.
La retraite, dont les efforts contributifs sont nettement asymétriques d’une génération à l’autre (12), s’impose comme un levier de choix. Aussi convient-il au législateur de ne surtout pas l’éluder. C’est ainsi que certains chercheurs (13) proposent une réforme sans demi-mesure de son financement, dont la pertinence réside notamment dans la distinction qu’elle fait entre le 3e et 4e âge. Il s’agit d’un système mixte à deux étapes : dans un premier temps, une assurance-vie privée obligatoire, servant une rente à terme entre l’âge de la retraite et, par exemple, 75 ans. Puis, dans un second temps, le système de retraite par répartition standard, qui verserait les pensions seulement après 75 ans, au « grand âge ». Les chercheurs ont calculé qu’un tel système serait beaucoup plus soutenable et juste pour les travailleurs mais aussi pour les compagnies d’assurance, à travers notamment la « séparation temporelle » des versements de pensions publiques et privées.
Il est également à noter que le constat relatif à la patrimonialisation de la société et du « vieillissement » de celle-ci rend nécessaire le caractère fiscal des solutions à concevoir. La crispation patrimoniale qui accompagne le 3e âge doit être traitée à la source, en allégeant notamment l’épée de Damoclès que représente le risque de perte d’autonomie. Enfin, il semble évident qu’une société viable et solidaire doit reposer sur des politiques nouvelles en faveur de la jeunesse. André Masson (14) propose dans ce sillage un certain nombre de réformes originales qui s’articulent autour de trois objectifs : recréer du lien social entre générations ; mieux couvrir le risque de perte d’autonomie ; inciter les seniors à réorienter leur épargne vers le financement de l’économie. A contrario de Piketty (15), qui souhaite cibler la concentration de patrimoine d’où qu’elle vienne via un impôt sur la fortune fortement progressif redistribué aux moins de 25 ans, Masson croit que la recherche des équilibres intergénérationnels devrait s’effectuer davantage par des incitations à une coopération profitable entre générations plutôt que par des redistributions intempestives ou punitives. Ainsi l'économiste suggère-t-il de lier au niveau du budget public les dépenses pour les jeunes (éducation, formation, allocation) et pour les plus âgés (retraite et perte d'autonomie), d'indexer les retraites considérées comme élevées sur l'évolution du taux de salaire d'embauche ou du chômage des jeunes non qualifiés, de proposer des offres de placements financiers à (très) long terme et exonérés de droits de succession, ou encore de faire cotiser le 3e âge pour les besoins du 4e âge. Autant de mesures qui nous apparaissent raisonnables, novatrices et nécessaires.
Les pistes encore inexplorées pour un rééquilibrage générationnel demeurent nombreuses, et celle de l'immobilier en est une. Quand on sait que 73,7% des plus de 60 ans sont propriétaires d’un bien immobilier (16) et qu'ils représentent 44% des ménages qui disposent de deux bien ou plus (17), la solidarité tant appelée supposerait, dans le cadre d’activités de location, une baisse significative des loyers à l’attention des étudiants et jeunes actifs. Tout particulièrement dans la capitale, où la jeunesse est étouffée dans des studios exigus à des prix parfaitement irrationnels, tandis que 145 000 logements sont, toujours dans la capitale, laissés vacants par confort (18). Une évolution radicale de la situation est raisonnablement souhaitable.
Une autre piste, dans la continuité des idées de Masson, serait d’inciter le senior aisé à investir son épargne au service de la jeunesse, à travers des financements de projets entrepreneuriaux, de start-up, voire des prêts étudiants à taux fixe (et pourquoi pas négativement impactés par les revalorisations successives des pensions de retraite !). Enfin, lorsqu’il est toujours actif dans le monde de l’entreprise, le senior pourrait favoriser l’insertion professionnelle des jeunes, en acceptant de considérer une perspective de gestion des ressources humaines différente de celle qu'il a connu jusqu'à présent. Après tout, la jeunesse elle-même a déjà été contrainte à renoncer à bien des perspectives dans la gestion de cette crise. Aussi devrait-elle activement œuvrer à ce que l'Histoire ne s'en souvienne pas comme le bouffon du roi de l'époque.
Pour que la solidarité ne s'arrête pas à 2021, voyez le monde d'après comme un matin qui se lève. Et levez-vous de bonne heure.
(1) https://fr.statista.com/statistiques/1104103/victimes-coronavirus-age-france/
(4) https://fr.statista.com/statistiques/1104096/infections-reanimation-coronavirus-age-france/
(6) https://sante.gouv.fr/IMG/pdf/avis_conseil_scientifique_2_avril_2020.pdf
(13) Devolder, P. et al. (2018). A Two-Steps Mixed Pension System: An Aggregate Analysis. Mathematical and Statistical Methods for Actuarial Sciences and Finance.
(14) Masson, A. (2020). Nos sociétés du vieillissement entre guerre et paix. L’autreface.
(15) Piketty, T. (2013). Le Capital au XXIe siècle. Seuil.
(17) https://www.insee.fr/fr/statistiques/5432517?sommaire=5435421
Vous pourriez aussi être intéressé par...
© 2024. Tous droits réservés.