Pour un contrat intergénérationnel : la dette des Boomers (1/2)
ECONOMIE
10/9/20246 min read


Le boomer est le roi de l’époque. Avec ses instincts pour seule conscience, le boomer s’est hissé sur le dos voûté de la génération silencieuse -celle qui, née à la fin du 19e siècle, a accompagné avec sang, larmes, boue et sueur la France dans son Histoire, pour enfin puiser dans ses dernières forces à la reconstruire-, afin de s’établir sur le trône de celui qui dispose de tout et ne répond de rien. Car contrairement aux post-napoléoniens, le boomer n’est né ni trop tôt, ni trop tard :
La France jouissait d’une situation de plein emploi (2,5% de chômage en 1968 contre 8% début 2020) et d’une forte croissance économique (4,5% en 1968) (1)
La propriété immobilière était accessible au plus grand nombre (le rapport prix au m² / revenu moyen des ménages à Paris est aujourd’hui plus de trois fois celui des années 70 et les crédits immobiliers étaient quasiment gratuits, voire parfois à taux négatifs, tenant compte de l’inflation) (2)
Le taux de criminalité et de délinquance en France était de 1,5% (il s’élève aujourd’hui à un peu moins de 6%) (3)
etc, etc.
C’est ainsi que l’historien Jean-François Sirinelli (4) caractérise cette génération par les 4 P : Paix, Prospérité inédite, Plein-emploi et croyance dans le Progrés. Selon lui, des comptes seront demandés à ces générations jugées à l’aune de l’Histoire comme particulièrement chanceuses. Aussi est-ce l’intention non dissimulée du présent article, qui pourra être considéré comme un plaidoyer -en deux parties -, en faveur d’une meilleure justice intergénérationnelle. Les travaux de l’économiste André Masson (5) ont été la principale inspiration de la réflexion qui vous est ici proposée.
L’essayiste Hakim el Karoui (6) met sur le dos des premiers baby-boomers l'ensemble des maux contemporains. Ils auraient pris le pouvoir et supplanté la lutte des classes par la lutte des âges. Le financement du modèle social français serait trop favorable aux seniors actuels : hors la CSG, les cotisations pèseraient trop sur les revenus du travail et feraient peu appel au patrimoine des seniors. Les mesures pertinentes, telles que concentrer les transferts ascendants de retraite vers les plus pauvres et faire contribuer davantage le patrimoine des seniors, ne sont selon lui pas réalisables en pratique car les aînés votent beaucoup plus que leurs cadets. 52% des votants de l’élection présidentielle de 2012 avaient en effet plus de 50 ans, tandis qu’ils représentaient 27% de la population active (7).
Loin de céder à la facilité en tenant le boomer pour bouc émissaire des crises sociétales qui se succèdent et s’effilent dans le temps, loin de cultiver un quelconque discours hostile et belliqueux qui ne saurait en rien être utile -sauf à faire perpétuer la lutte des âges-, il convient tout de même de reconnaître dans la pensée d’El Karoui une certaine lucidité quant au paradigme politique, que l’on pourrait considérer comme une confiscation électorale. Le poids du boomer dans les urnes permettrait, à travers l’appareil de l’Etat censé être « arbitre intergénérationnel », de confisquer les dépenses publiques aux dépens des jeunes. Le cynisme pourrait être poussé jusqu’à se prévaloir du statut d’ascendant et de parent pour jouer sur la difficulté des enfants et descendants à les brimer : « don’t shoot, we are your parents ». Cette situation a notamment été observée en Italie par Elsa Fornero (8), qui dénote un trop grand déséquilibre intergénérationnel, attribué aux politiques trop court-termistes et favorables aux aînés, plus actifs et mobilisés lors des élections. C'est là une réalité qui peut être observée de façon saillante par tout un chacun, au cours d'une élection, au détour de n'importe quelle bureau de vote, dès dimanche matin. Ainsi la démocratie favorise-t-elle la lutte des âges dans le sens d'une iniquité générationnelle, demandant au décideur politique un certaine audace et un certain détachement du calcul électoral pour conduire un développement durable. Il a par exemple suffit à un Michel Barnier aligné avec les intérêts de l’Etat plutôt que ceux de sa génération d’effleurer du bout du petit doigt les retraites pour faire instamment près de 4 milliards d’euros d’économie sur le budget annuel. (9)
Le boomer a gagné au Loto de l’Histoire, et a su faire le nécessaire pour conserver sa part. Ainsi a-t-il pu vivre la fleur de l'âge et tout ce qui s’ensuit dans la quiétude, le confort et l’allégresse. Ainsi peut-il avec légèreté disqualifier la jeunesse et son oisiveté (10), tout en goûtant une vieillesse qui ressemble davantage à une croisière qu’à un naufrage (11). Pour la première fois, une génération aura mieux vécu que les suivantes (12). Le boomer est le roi de l’époque. Et c’était son destin, qui l’aurait refusé ? Pas vous, pas moi.
L’Histoire, comme le suggère Ibn Khaldoun dès le XIVe siècle (13) est un éternel recommencement : les temps pénibles engendrent des Hommes forts, les Hommes forts engendrent des temps agréables, les temps agréables engendrent des Hommes faibles, les Hommes faibles engendrent des temps pénibles. Dans notre cycle, cette dernière étape a un nom : Mai 68.
Mai 68, c’est l'amorce d'un minutieux programme de réduction de la liberté au désir, déroulant le tapis rouge au consumérisme hédoniste, effréné et écocide, laissant à son passage le flot d’aliénation, de frustration et de perversion dans lequel la jeune génération baigne désormais jusqu'au cou. Mai 68 c’est la dictature d’une idéologie mortifère, celle qui, selon les bons mots de Sarko, a « préparé le terrain au capitalisme sans scrupule et sans éthique » (14) . Où cela nous a-t-il mené ? Une explosion de la dette publique qui, depuis 1978, a été multipliée par 42 en valeur absolue et 7,5 en valeur relative au PIB (15) -car la liberté ne connait pas de limite quand c’est aux générations suivantes qu’il incombe de rembourser-, puis un démantèlement paradoxal des services publics. (16) (17) (18). Un capital environnemental dans un état lamentable, où la pollution des eaux, des sols, de l'air, la déforestation, la sécheresse et la désertification sont l'apanage de notre époque. Mai 68 a été, entre autres, le vecteur d'une transformation civilisationnelle pour l'Europe et le reste du monde. Aussi ne nous apparaît-il pas déraisonnable de juger qu'il eut mieux valu abattre au plus tôt l'arbre qui produit les fruits les plus succulents mais aussi sévèrement intoxicants, plutôt que de rassasier sa communauté ainsi que soi-même de ces derniers. Et pourtant, de ces fruits, on nous en a gavés et repus, jusqu'à nous faire réingérer tout ce qui a été dégurgité, encore et encore.
Enfin, survint le Covid-19, à point.
La partie suivante sera l’occasion d’aborder la dernière crise sanitaire et sa gestion comme point de rupture dans les rapports intergénérationnels modernes, puis de proposer des solutions durables pour une réconciliation des générations.
(3) https://www.actualitix.com/blog/taux-de-criminalite-en-france-depuis-1949-a-2012.html
(4) Sirinelli, J-F. (2003). Les Baby Boomers. Fayard.
(5) Masson, A. (2020). Nos sociétés du vieillissement entre guerre et paix. L’autreface.
(6) El Karoui, H. (2013). La lutte des âges : Comment les retraités ont pris le pouvoir. Flammarion.
(7) https://www.insee.fr/fr/statistiques/1281060
(8) https://www.project-syndicate.org/commentary/right-recipe-for-successful-pension-reform-by-elsa-fornero-2021-12,Elsa Fornero revient ici sur la nécessité pour un gouvernement de maintenir le contrat intergénérationnel en se défaisant du court-termisme et en embrassant le pragmatisme d'une réforme des retraites.
(12) https://www.lexpress.fr/informations/la-generation-gatee_642558.html
(13) Ibn Khaldoun. (1377). Al-Muqaddima.
(15) https://www.ifrap.org/data/les-chiffres-de-la-dette-publique-depuis-1978
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