Politiques et transitions énergétiques : un révélateur de continuité institutionnelle (5/5)

POLITIQUE

12/10/20245 min read

"Il n'est point de vent favorable pour celui qui ne sait pas où il va" écrivait Sénèque (1). La transition énergétique, défi majeur de notre siècle, met à l'épreuve la capacité des nations à définir une vision claire et à s'y tenir avec détermination. Aussi révèle-t-elle la capacité des régimes politiques à élaborer des politiques cohérentes et durables, aptes à répondre de façon appropriée aux menaces environnementales qui prévalent.

Le Royaume chérifien s’est illustré sur la scène internationale comme une nation studieuse en termes de transition énergétique (2) (3). Et pour cause, dépourvu de ressources fossiles significatives, il a suffi d’une impulsion royale en 2009 (4) pour que le Maroc adopte et conduise pendant les 15 années qui suivent une stratégie visant à augmenter continument et significativement la part des énergies renouvelables dans son mix énergétique. Ainsi la part de ces énergies dans le mix électrique marocain a-t-il bondi de 8% à 38% entre 2008 et 2022 (5) avec l’ambition annoncée de dépasser la barre des 50% au cours de la décennie (6). Cette dynamique place de surcroît le Maroc au premier rang des acteurs de l’hydrogène vert à l’échelle internationale, lui permettant d’accélérer sa contribution à la lutte contre le réchauffement climatique. Aussi la constance de son action sur le temps long rend-elle le Royaume Chérifien digne de confiance pour les investisseurs au regard des technologies disruptives, dont le seuil de rentabilité est empreint d’incertitude et de long-termisme. A cause de la cohérence du plan d’action mis en oeuvre ces quinze dernières années, et de la fiabilité quant à celui qui se déploie pour les quinze prochaines années, le Maroc peut se présenter, avec le concours de toutes les parties prenantes à travers le monde, comme une terre où se prépare la transition énergétique dont notre planète a besoin. (7) (8)

En France, la transition énergétique a été marquée par de francs succès (9), mais également par des incohérences et des ruptures de continuité qui entravent sensiblement sa progression. L’Hexagone jouit d’un héritage technologique et industriel de premier plan, un atout incontestable dans la bonne conduite cette transition : son parc nucléaire. Il est l’un des plus importants au monde et lui confère une position privilégiée en matière de production d'électricité décarbonée (10). Cependant, la politique énergétique française a souvent été sujette à des revirements qui puisent dans l’alternance démocratique chère à la République. Chaque nouveau mandat présidentiel tend à redéfinir les priorités, créant ainsi pour toute planification stratégique des discontinuités préjudiciables à ce qui serait souhaitable en termes de cohérence . Et la question du nucléaire en est justement l'illustration la plus éloquente. Alors que Nicolas Sarkozy affirme son engagement dans le développement du Nucléaire français par la construction d’un nouveau réacteur EPR à Flamanville (11), le Président François Hollande annonçait en 2012 une réduction de la part du nucléaire dans le mix électrique à 50 % d'ici 2025, entraînant notamment la fermeture controversée de la centrale de Fessenheim (12). Son successeur Emmanuel Macron a initialement appuyé cet objectif, entérinant la fermeture effective de l’emblématique centrale alsacienne et annonçant de surcroît le démantèlement de 14 réacteurs (13). Après avoir reporté cet objectif à 2035 (14), le Président annonce en 2022 la construction de six nouveaux réacteurs et un réengagement de la République française dans le développement de la filière nucléaire. (15) Ainsi il peut apparaître au lecteur que non seulement cette discontinuité stratégique est-elle perceptible entre différentes présidences, mais l’est-elle aussi au sein même d’un mandat présidentiel. L’hésitation ici exprimée contraste avec les impératifs de planification propres à l'industrie nucléaire, où la mise en service ou le démantèlement d'une centrale s'étalent sur plusieurs décennies. Aussi la prospérité des français peut-elle qualifier ce manque de résolution comme un regrettable gâchis.

Nous pouvons raisonnablement considérer que les ruptures de continuité, inhérentes au système politique républicain et accentuées par les alternances présidentielles, contrastent avec la constance observée au Maroc. Là où le Royaume chérifien s'appuie sur une vision centralisée et durable, la France semble parfois prisonnière de ses propres structures démocratiques, elles-mêmes prises au piège des idéologies qui teintent le spectre politique.

En définitive, au fil de cette analyse comparée, il apparaît que les fondements philosophiques et institutionnels qui distinguent la Monarchie marocaine de la République française engendrent des dynamiques contrastées face aux défis contemporains. Le modèle marocain, par sa centralisation et sa continuité, offre une résilience face aux mutations de nos sociétés, tandis que le modèle républicain français, malgré ses acquis, semble de plus en plus en quête de repères pour maintenir sa cohésion et sa capacité d'action. Il ne s'agit pas de conclure à la supériorité de l'un sur l'autre, mais plutôt de souligner l'importance pour chaque nation de s'interroger sur les fondements qui sous-tendent son organisation politique, afin de mieux répondre aux défis qui font notre siècle.

(1) Sénèque. Lettres à Lucilius, Lettre 71.

(2) L'Opinion. (2023, 6 juillet). Transition énergétique : le Maroc classé 1er dans la région MENA selon le Forum économique mondial. L'Opinion. https://www.lopinion.ma/Transition-energetique-Le-Maroc-classe-1er-dans-la-region-MENA-selon-le-Forum-economique-mondial_a42030.html

(3) Morocco World News. (2024, 24 novembre). Morocco Ranks 8th in Global Climate Index, Leading Africa and Arab World. Morocco World News. https://www.moroccoworldnews.com/2024/11/366498/morocco-ranks-8th-in-global-climate-index-leading-africa-and-arab-world

(4) Message de Sa Majesté le Roi Mohammed VI aux participants aux premières assises nationales de l’énergie. (2009, 6 mars). ****https://www.maroc.ma/fr/discours-royaux/sm-le-roi-mohammed-vi-adresse-un-message-aux-participants-aux-premières-assises

(5) Ministère de la Transition Energétique et du Développement Durable. https://www.mem.gov.ma/Pages/secteur.aspx?e=2&utm

(6) Le Matin. (2024, 21 octobre). Energies renouvelables : l’objectif de 52% dépassé dès 2027. https://lematin.ma/economie/energies-renouvelables-lobjectif-de-52-depasse-des-2027/248044

(7) Le360. (2024, 30 août). Hydrogène vert: quand le monde entier fait les yeux doux au Maroc. https://fr.le360.ma/politique/hydrogene-vert-quand-le-monde-entier-fait-les-yeux-doux-au-maroc_L24BOOSPHJHRTINGDTX3IIQBGQ/

(8) TotalEnergies. (2024, 29 octobre). Renouvelables & Hydrogène vert : TE H2, CIP et A.P. Møller Capital s’associent pour un projet à grande échelle au Royaume du Maroc. https://totalenergies.com/fr/actualites/communiques-de-presse/renouvelables-hydrogene-vert-te-h2-cip-et-ap-moller-capital

(9) Le Monde. (2024, 21 mars). Les émissions de gaz à effet de serre ont reculé de 4,8 % en 2023 en France, soit le double de 2022. https://www.lemonde.fr/planete/article/2024/03/21/climat-les-emissions-de-gaz-a-effet-de-serre-ont-recule-de-4-8-en-2023-en-france-le-double-de-2022_6223204_3244

(10) Sylvestre Huet. (2022, 22 juin). Nucléaire : 4 g de CO2 par kWh. Le Monde. https://www.lemonde.fr/blog/huet/2022/06/22/nucleaire-4-g-de-co2-par-kwh/

(11) Elysée. (2009, 6 février). Déclaration de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, notamment sur la construction d'un deuxième EPR et sur les énergies renouvelables, à Flamanville le 6 février 2009. https://www.elysee.fr/nicolas-sarkozy/2009/02/06/declaration-de-m-nicolas-sarkozy-president-de-la-republique-notamment-sur-la-construction-dun-deuxieme-epr-et-sur-les-energies-renouvelables-a-flamanville-le-6-fevrier-2009

(12) Le Monde. (2017, 6 avril). La fermeture de la centrale de Fessenheim actée, mais pas avant la fin du quinquennat Hollande. https://www.lemonde.fr/economie-francaise/article/2017/04/06/le-decret-de-fermeture-de-la-centrale-de-fessenheim-ne-pourra-pas-etre-pris-avant-la-fin-du-quinquennat-hollande_5107116_1656968

(13) Le Parisien. (2018, 27 novembre). Emmanuel Macron annonce la fermeture de 14 réacteurs nucléaires d'ici 2035. https://www.leparisien.fr/economie/14-reacteurs-nucleaires-seront-arretes-d-ici-2035-annonce-emmanuel-macron-27-11-2018-7954812.php

(14) Novethic. (2017, 7 novembre). La France renonce : l’objectif de réduction de la part du nucléaire à 50 % en 2025 est intenable selon Nicolas Hulot. https://www.novethic.fr/actualite/energie/energie-nucleaire/isr-rse/la-france-renonce-l-objectif-de-reduction-de-la-part-du-nucleaire-a-50-en-2025-est-intenable-145002

(15) France 24. (2022, 10 février). Depuis Belfort, Emmanuel Macron annonce la construction de six nouveaux réacteurs nucléaires. https://www.france24.com/fr/france/20220210-nucléaire-emmanuel-macron-à-belfort-pour-dévoiler-sa-stratégie-énergétique-pour-la-france