L'Énergie, oui mais pour quoi faire ?
PHILOSOPHIE
9/23/20243 min read
Énergie verte, transition énergétique, efficacité énergétique, souveraineté énergétique… L’Énergie est aujourd’hui au cœur des préoccupations citoyennes et constitue un enjeu technique, économique et politique de premier ordre. Et à juste titre, elle est le vecteur inéluctable de tout progrès civilisationnel sans comparaison possible, de la maîtrise du feu aux accélérateurs de particules en passant par la mission Apollo. L’énergie, la quantité à laquelle nous avons accès et la façon dont nous l’utilisons suffit à établir une première définition de notre civilisation et, surtout, de sa dynamique. Ainsi, sans surprise, la révolution industrielle et technologique, à l’origine de l’état inédit de prospérité - voire d’opulence -, qui est aujourd’hui le nôtre repose-t-il essentiellement sur l’exploitation à grande échelle du pétrole et de ses dérivés, jouissant d’une densité énergétique sans commune mesure.
Le narratif est désormais proverbial et connu de tous : l’exploitation de cette ressource est considérée comme délétère pour l’environnement et notre atmosphère. Il s’agit, d’une part, de transitionner vers d’autres formes d’énergie moins néfastes, et, d’autre part, de redoubler d’efforts dans l’efficacité d’utilisation de cette énergie quelle qu’elle soit. Toutes les strates et filières de nos sociétés et de nos économies œuvrent actuellement à ces objectifs, coordonnées à l’échelle du globe par des sommets internationaux tels que les COP. Il convient toutefois de faire un pas de côté et de s’interroger : l’Énergie, oui, mais pour quoi faire ? Quel est, in fine, le sens du dévouement de tant d’ouvriers, techniciens, ingénieurs, juristes, investisseurs et décideurs politiques dans cette transition énergétique ? Que reste-t-il de ce sens une fois considérée la part non négligeable de cette énergie qui sera employée dans l’alimentation et le refroidissement de data-centers (1), permettant eux-mêmes la continuité d’un internet dont le flux représente pour jusqu’un tiers de contenu pornographique (2) et deux tiers de streaming vidéo et de scrolling sur les réseaux sociaux (3) ? Nous pouvons ainsi considérer sans sophisme qu’il existe une fraction de l’effort physique, intellectuel et public investi dans la transition énergétique qui consiste à permettre l’accès et la consommation de contenus difficilement compatibles avec la perpétuation d’une bonne santé civilisationnelle. Seulement, une fois que nous considérons que, d’une part, la grande majorité de cette énergie est utilisée à la garantie pour tous d'une réponse continue aux besoins essentiels (vivre sous un toit, que celui-ci soit chauffé, de cuire sa nourriture etc.) et que, d’autre part, l’internaute moyen passe entre 6 et 7 heures de sa journée sur le web et ses affres existentiels (4), il est possible d’affirmer avec cette fois un sophisme sournois que l’Énergie de façon générale et la transition dont elle fait l’objet ne servent, d’une perspective civilisationnelle, peu ou prou à … rien.
C’est pourquoi il convient de continûment se demander “pourquoi ?”, de conduire sa réflexion en toute conscience avant d’en tirer les conséquences les plus lucides. Aussi peut-on considérer qu’une transition énergétique sans transition civilisationnelle est parfaitement vaine, voire malsaine, aussi longtemps que nous continuerons d’œuvrer activement à la culture du vide dans sa forme la plus aboutie. La meilleure forme d’efficacité énergétique, et jamais nous ne le mentionnons, c’est d’abord l’abstention. L’abstention de perdre son temps et celui de son époque dans les pires futilités. Car si toute une filière se coordonne de la façon la plus optimale pour alimenter en énergie et électricité une population faite d'âmes aspirant essentiellement à l’onanisme, au scrolling et au binge-watching, il nous incombe instamment de marteler le bouton d’arrêt d’urgence et de reconsidérer tout ce qui est reconsidérable. Si l'Énergie doit incarner le moteur d'une nouvelle ère, elle doit s'ancrer dans une vision plus élevée de l'humanité, une vision où la prospérité et la croissance ne riment plus avec vacuité et médiocrité, mais avec sens, responsabilité vis-à-vis des générations passées et héritage durable pour les générations futures.
(2) https://www.extremetech.com/internet/123929-just-how-big-are-porn-sites
(4) https://datareportal.com/reports/digital-2023-global-overview-report
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