Gestion des crises et résilience institutionnelle : le 20 février face aux Gilets Jaunes (4/5)
POLITIQUE
12/2/20244 min read


“La mesure ultime d'un homme ne se fait pas à des moments où il est à son aise, mais lorsqu'il traverse une période de controverses et de défis.” décrétait en connaissance de cause Martin Luther King (1). Aussi est-il possible de formuler une idée similaire pour les régimes institutionnels, tant l’Histoire se limite-t-elle à consigner les grands moments de flottements prompts à forger le destin d’une nation. Le Maroc et la France ont tous deux été traversés au cours de la décennie précédente par un mouvement social d’une ampleur significative : respectivement le mouvement du 20 février et celui des gilets jaunes. Tous deux remettaient en cause, par des manifestations populaires persistantes, les institutions et les politiques en vigueur. Tous deux appelaient à une réaction diligente et appropriée du régime en place, tant couvaient-elles la possibilité appréhendée d’un embrasement généralisé. (2) (3)
Au Maroc, le mouvement du 20 février 2011, s’inscrit dans le sillage impétueux du Printemps arabe. Face à cette houle populaire, le Roi Mohammed VI adopta une approche proactive et conciliante. Ainsi, moins de trois semaines plus tard, un discours royal annonçait une réforme constitutionnelle majeure destinée à poursuivre la mue de la société marocaine. Les contestataires institutionnels, notamment issus des partis du PJD et de l’USFP, rentrent alors dans le rang, et, le 1er juillet, la nouvelle constitution est approuvée à 98.5% par voie référendaire. Par cette approche, la Monarchie marocaine a su absorber les tensions, canaliser les revendications parfois décousus du peuple et préserver la stabilité du royaume. Elle évite ainsi les bouleversements dramatiques observés dans d'autres pays de la région. Cette stratégie est a priori autorisée par deux choses : une centralisation du pouvoir qui permet de prendre des décisions fortes sans d’éternelles négociations et tergiversations, et l’indéfectible confiance qu’un Roi, régnant du haut de plus de mille années de légitimité, entretient vis à vis de son peuple et de lui-même. Cette proximité ineffable entre un monarque et son peuple, dans toute sa dimension géographique, historique, et spirituelle, permet l’éveil d’un instinct politique sans commune mesure, prompt à garder son royaume dans une lumière toujours salutaire.
En France, le mouvement des Gilets Jaunes entre en scène en novembre 2018. Il puise d’abord son élan dans l’exaspération accumulée face à l'augmentation des taxes sur les carburants, avant de transmuer en un contestation plus vaste d’une “France périphérique” (4) à l’encontre des inégalités sociales et du fossé grandissant entre les élites politiques et le citoyen lambda. L’exécutif tarda à saisir l’ampleur de l’orage qui tonnait à sa porte et à engager un dialogue authentique avec les protestataires, préférant une répression policière sans précédent menant de nombreux gilets jaunes à perdre un oeil ou une main au cours des manifestations hebdomadaires. A ceci viennent se rajouter un certain nombre de sorties et réactions hasardeuses de la Présidence, qui, teintées d’un mépris mal à propos (5), n’ont pas su canaliser l’énergie qui foisonnait au cours de ces mobilisations. Ainsi la République française, qui, dans la continuité du développement précédent, n’a su trouver un quelconque principe qui soit à la fois supérieur et tangible auquel se tenir pour conduire son peuple au Pax Populi, a-t-elle vue progressivement sa capitale, réputée ville lumière, sombrer dans une nuit incertaine. (6) Alors, parce que la constitution aborde la souveraineté sous le prisme exclusif du peuple et des valeurs démocratiques, l’exécutif s’est enlisé dans des consultations fleuves aux quatre coins du territoire, baptisées “Grand débat national” (7), alors même que les rues continuaient à éructer au rythme des violences et des mutilations. Aussi le gouvernement s’est-il finalement raccroché à la seule chose qui fait rimer simplicité et vulgarité, et le Président Macron de faire pleuvoir des milliards sur les sans-costards (8). Mais ce ne fut pas tant cette mesure palliative que l’effet dissuasif d’une répression populaire accrue, et surtout le confinement imposé par la pandémie début 2020, qui endormirent la crise sans la solder tout à fait.
Ces deux épisodes de contestation populaire, tous deux survenus brusquement, traduisent les divergences fondamentales entre la Monarchie marocaine et la République française dans leur capacité réactionnelle face aux crises sociales. Si la centralisation et la forte légitimité du pouvoir a permis à l’exécutif marocain de déployer rapidement une stratégie proactive d’apaisement des tensions, l’exécutif français s’est, lui, retrouvé inapte à apporter une réponse qui soit à la fois diligente et appropriée. Il convient désormais de s’intéresser aux aptitudes des deux régimes à déployer et tenir, dans le temps long, des politiques publiques cohérentes. Aussi proposons-nous, pour poursuivre notre exposé, d’apprécier la continuité des politiques françaises et marocaines à travers l’exemple emblématique de la transition énergétique.
(1) Luther King Jr. (1963), La Force d'aimer
(2) La Voix du Nord. (2018, 13 décembre). Un hélicoptère était prêt samedi au cas où pour emmener Emmanuel Macron. La Voix du Nord. https://www.lavoixdunord.fr/506027/article/2018-12-13/un-helicoptere-etait-pret-samedi-au-cas-ou-pour-emmener-emmanuel-macron
(3) Courrier International. (2012, 24 février). Jusqu'où ira la contestation ? Courrier International. https://www.courrierinternational.com/article/2012/02/24/jusqu-ou-ira-la-contestation
(4) Le Monde. (2018, 28 novembre). « Gilets jaunes » : « La “France périphérique” demande à être respectée » Le Monde. https://www.lemonde.fr/politique/article/2018/11/28/la-france-peripherique-demande-a-etre-respectee_5389864_823448.html
(5) Midi Libre. (2019, 1er février). « Jojo avec un gilet jaune » : la nouvelle petite phrase d’Emmanuel Macron passe mal. Midi Libre. https://www.midilibre.fr/2019/02/01/jojo-avec-un-gilet-jaune-la-nouvelle-petite-phrase-demmanuel-macron-passe-mal,7989526.php
(6) Le Monde. (2018, 2 décembre). Paris brûle : les médias étrangers relatent le chaos en marge des défilés des « gilets jaunes ». Le Monde. https://www.lemonde.fr/societe/article/2018/12/02/paris-brule-les-medias-etrangers-relatent-le-chaos-en-marge-des-defiles-des-gilets-jaunes_5391530_3224.html
(7) RTL. (2018, 31 décembre). Grand débat national : Emmanuel Macron écrira aux Français dans quelques jours. RTL. https://www.rtl.fr/actu/politique/grand-debat-national-emmanuel-macron-ecrira-aux-francais-dans-quelques-jours-7796090633
(8) Le Parisien. (2019, 15 novembre). Un an de gilets jaunes : déjà 17 milliards d’euros pour tenter de calmer la colère. Le Parisien. https://www.leparisien.fr/economie/un-an-de-gilets-jaunes-deja-17-milliards-d-euros-pour-tenter-de-calmer-la-colere-15-11-2019-8194521.php
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